27/07/2019
Jean Genet, Un chant d'amour
Un chant d’amour
Berger descends du ciel où dorment tes brebis !
(Au duvet d’un berger bel Hiver je te livre)
Sous mon haleine encor si ton sexe est de givre
Aurore le défait de ce fragile habit.
Est-il question d’amour au lever du soleil ?
Leurs chants dorment encor dans le gosier des pâtres,
Écartons nos rideaux sur ce décor de marbre ;
Ton visage ahuri saupoudré de sommeil.
O ta grâce m’accable et je tourne de l’œil
Beau navire habillé pour la noce des Iles
Et du soir. Haute vague ! Insulte difficile
O mon continent noir ma robe de grand deuil !
(…)
Jean Genet, Un chant d’amour, dans Le condamné à mort (…),
L’Arbalète, 1966, p. 81.
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25/07/2018
Jean Genet, L'enfant criminel
L’enfant criminel
Que l’on veuille bien comprendre, et l’excuser, mon émotion, quand je dois exposer une aventure qui fut aussi la mienne. Au mystère que vous êtes il me faut opposer, et le dévoiler, le mystère des bagnes d’enfants. Épars dans la campagne française, souvent dans la plus élégante, il est quelques lieux qui n’ont pas fini de me fasciner. Ce sont les maisons de correction dont le titre officiel et trop poli est maintenant : « Patronage de relèvement moral, Centre de rééducation, Maison de redressement de l’enfance délinquante, etc. » Le changement de titre est déjà un signe. L’expression « Maison de correction » et quelquefois « Pénitencier », devenue une sorte de nom propre, ou, plus exactement encore désignant un endroit idéal et cruel situé très profondément dans le cœur de l’enfant avait une violence que les éducateurs ont essayé d’affaiblir. Toutefois, je l’espère, secrètement les enfants, malgré les termes révélateurs d’une hygiène assez niaise, reconnaissent l’appel du Pénitencier ou du Bagne. Sauf qu’ils les situent maintenant plus dans une région morale qu’en un point précis de l’espace. Il était sot de s’attaquer au nom en croyant que changerait l’idée de la chose nommée (…).
Jean Genet, L’enfant criminel, avec Le condamné à mortet Le funambule, L’Arbalète, 1966, p. 111-112.
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12/12/2017
Jean Genet, L'Atelier d'Alberto Giacometti
Il sourit. Et toute la peau plissée de son visage se met à rire. D’une drôle de façon. Les yeux rient, bien sûr, mais le front aussi (toute sa personne a la couleur grise de son atelier). Par sympathie peut-être il a pris la couleur de la poussière. Ses dents rient — écartées et grises aussi — le vent passe à travers.
Il regarde une de ses statues :
lui : C’est plutôt biscornu, non ?
Ce mot il le dit souvent. Lui aussi est assez biscornu. Il gratte sa tête grise, ébouriffée. C’est Annette qui a taillé ses cheveux. Il remonte son pantalon gris qui tombait sur ses souliers. Il riait il y a six secondes, mais il vient de toucher à une statue ébauchée : pendant une demi-minute il sera tout entier dans le passage de ses doigts à sa masse de terre. Je ne l’intéresse pas du tout.
Jean Genet, L’Atelier d’Alberto Giacometti, dans Œuvres complètes, v, Gallimard, 1979, p. 45.
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07/12/2016
Jean Genet, Un chant d'amour
Un chant d’amour
Berger descends du ciel où dorment tes brebis !
(Au chevet d’un berger bel Hiver je te livre)
Sous mon haleine encor si ton sexe est de givre
Aurore le défait de ce fragile habit.
Est-il question d’aimer au lever du soleil ?
Leurs chants dorment encor dans le gosier des pâtres.
Écartons nos rideaux sur ce décor de marbre ;
Ton visage ahuri saupoudré de sommeil.
Ô ta grâce m’accable et je tourne de l’œil
Beau navire habillé pour la noce des Îles
Et du soir. Haute vergue ! Insulte difficile
Ô mon continent noir ma robe de grand deuil !
[…]
Jean Genet, Le condamné à mort, l’enfant criminel,
[…], L’Arbalète, 1966, p. 81.
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10/06/2016
Jean Genet, La Parade
La Parade
Silence, il faut veiller ce soir
Chacun prendre à ses meutes garde,
Et ne s’allonger ni s’asseoir
De la mort la noire cocarde
Piquer son cœur et l'en fleurir
D’un baiser que le sang colore,
Il faut veiller se retenir
Aux cordages clairs de l’aurore.
Enfant charmant haut est la tour
Où d’un pied de neige tu montes.
Dans la ronce de tes atours
Penchant les roses de la honte.
On chante dans la cour de l’Est
Le silence éveille les hommes.
Silence coupé d’ombre et c’est
De fiers enculés que nous sommes.
Silence encor il faut veiller
Le Bourreau ignore la fête
Quand le ciel sur ton oreiller
Par les cheveux prendra ta tête.
Jean Genet, La Parade, dans Le condamné
à mort, L’enfant criminel, L’Arbalète,
1966, p. 69-70.
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01/05/2016
Jean Genet, Ce qui reste d'un Rembrandt déchiré...
Ce qui est resté d’un Rembrandt…
Comme une odeur d’étable : quand, des personnages, je ne vois que le buste (Hendrijke à Berlin) ou seulement la tête, je ne peux m’empêcher de les imaginer debout sur du fumier. Les poitrines respirent. Les mains sont chaudes. Osseuses, noueuses, mais chaude. La table du Syndic des Drapiers est posée sur de la paille, les cinq hommes sentent le purin et la bouse. Sous les jupes d’Hendrijke, sous les manteaux bordés de fourrure, sous les lévites, sous l’extravagante robe du peintre les corps remplissent bien leurs fonctions : ils digèrent, ils sont chauds, ils sont lourds, ils sentent, ils chient. — Aussi délicat et grave que soit son regard, la Fiancée juive a un cul. Ça se sent. Elle peut d’un moment à l’autre relever ses jupes. Elle peut s’asseoir, elle a de quoi. Madame Trip aussi. Quant à Rembrandt lui-même, n’en parlons pas : dès son premier portrait sa masse charnelle ne cessera de s’accélérer d’un tableau à l’autre jusqu’au dernier, où il arrive, définitif, mais non vidé de substance. Après qu’il a perdu ce qu’il avait de plus cher — sa mère et sa femme — on dirait que ce costaud va chercher à se perdre, sans politesse envers les gens d’Amsterdam, à disparaître socialement.
Vouloir n’être rien, c’est une phrase qu’on entend souvent. Elle est chrétienne : faut-il comprendre que l’homme cherche à perdre, à laisser se dissoudre ce qui, de quelque manière, le singularise banalement, ce qui lui donne son opacité, afin, le jour de sa mort, de présenter à Dieu une pure transparence, même pas irisée ? Je ne sais pas et je m’en fous.
Jean Genet, Ce qui est resté d’un Rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers, et foutu aux chiottes, dans Ouvres complète, IV, Gallimard, 1968, p. 21-23.
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09/02/2016
Jean Genet, Un chant d'amour
Un chant d’amour
Berger descends du ciel où dorment tes brebis !
(Au duvet d’un berger bel Hiver je te livre)
Sous mon haleine encore si ton sexe est de givre
Aurore le défait de ce fragile habit.
Est-il possible d’aimer au lever du soleil ?
Leurs chants dorment encore dans le gosier des pâtres,
Écartons nos rideaux sur ce décor de marbre ;
Ton visage ahuri saupoudré de sommeil.
Ô ta grâce m’accable et je tourne de l’œil
Beau navire habillé pour la noce des Îles
Et du soir. Haute vergue ! Insulte difficile
Ô mon continent noir ma robe de grand deuil !
[...]
Jean Genet, Un chant d’amour, dans Le condamné à mort,
L’Arbalète, 1966, p. 81.
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07/12/2014
Jean Genet, L'atelier d'Alberto Giacometti
Tout homme aura peut-être éprouvé cette sorte de chagrin, sinon la terreur, de voir comme le monde et son histoire semblent pris dans un inéluctable mouvement, qui s'amplifie toujours plus, et qui ne paraît devoir modifier, pour des fins toujours plus grossières, que les manifestations visibles du monde. Ce monde visible est ce qu'il est, et notre action sur lui ne pourra faire qu'il soit absolument autre. On songe donc avec nostalgie à un univers où l'homme, au lieu d'agir aussi furieusement sur l'apparence visible, se serait employé à s'en défaire, non seulement à refuser toute action sur elle, mais à se dénuder assez pour découvrir ce lieu secret, en nous-même, à partir de quoi eût été possible une aventure humaine toute différente. Plus précisément morale sans doute. Mais, après tout, c'est peut-être à cette inhumaine condition, à cet inéluctable agencement, que nous devons la nostalgie d'une civilisation qui tâcherait de s'aventurer ailleurs que dans le mensurable. C'est l'œuvre de Giacometti qui me rend notre univers encore plus insupportable, tant il semble que cet artiste ait su écarter ce qui gênait son regard pour découvrir ce qui restera de l'homme quand les faux-semblants seront enlevés. Mais à Giacometti aussi peut-être fallait-il cette inhumaine condition qui nous est imposée, pour que sa nostalgie en devienne si grande qu'elle lui donnerait la force de réussir dans sa recherche.
Jean Genet, L'atelier d'Alberto Giacometti, dans Œuvres complètes, V, Gallimard, 1979, p. 41.
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14/02/2014
Jean Genet, Le condamné à mort, l'enfant criminel, le funambule
La galère
Un forçat délivré rude et féroce lance
Un chiourme dans le pré mais d'une fleur de lance
Le marlou Croix du Sud l'assassin Pôle Nord
Aux oreilles d'un autre ôtent ses boucles d'or.
Les plus beaux sont fleuris d'étranges maladies.
Leur croupe de guitare éclate en mélodies.
L'écume de la mer nous mouille de crachats.
Sommes-nous remontés des gorges d'un crachat ?
On parle de me battre et j'écoute vos coups.
Qui me roule Harcamone et dans vos plis me coud ?
Harcamone aux bras verts hauts reine qui vole
Sur ton odeur nocturne et les bois éveillés
Par l'horreur de son nom ce bagnard endeuillé
Sur ma galère chante et son chant me désole.
Les rameaux alourdis par la chaîne et la honte
Les marles les forbans ces taureaux de la mer
Ouvragé par mille ans ton geste les raconte
Et le silence avec la nuit de ton œil clair.
[...]
Jean Genet, Le condamné à mort, l'enfant criminel, le funambule, L'Arbalète, 1958 [1945], p. 51-52.
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08/12/2012
Jean Genet, Le condamné à mort
Le condamné à mort
[...]
Sur mon cou sans armure et sans haine, mon cou
Que ma main plus légère et plus grave qu'une veuve
Effleure sous mon col, sans que ton cœur s'émeuve,
Laisse tes dents poser ton sourire de loup.
Ô viens mon beau soleil ô viens ma nuit d'Espagne,
Arrive dans mes yeux qui seront morts demain.
Arrive, ouvre ma porte, apporte-moi ta main.
Mène-moi loin d'ici battre notre campagne.
Le ciel peut s'éveiller, les étoiles fleurir,
Ni les fleurs soupirer, et des prés l'herbe noire
Accueillir la rosée où le matin va boire,
Le clocher peut sonner : moi seul je vais mourir.
Ô viens mon ciel de rose, ô ma corbeille blonde !
Visite dans sa nuit ton condamné à mort.
Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords,
Mais viens ! Pose ta joue contre ma tête ronde.
Nous n'avion pas fini de nous parler d'amour.
Nous n'avions pas fini de fumer nos gitanes.
On peut se demander pourquoi les Cours condamnent
Un assassin si beau qu'il fait pâlir le jour.
Amour viens sur ma bouche ! Amour ouvre tes portes !
Traverse les couloirs, descends, marche léger,
Vole dans l'escalier plus souple qu'un berger,
Plus soutenu par l'air qu'un vol de feuilles mortes.
Ô traverse les murs ; s'il le faut marche au bord
Des toits, des océans ; couvre-toi de lumière,
Use de la menace, use de la prière,
Mais viens, ô ma frégate, une heure avant ma mort.
Jean Genet, Le condamné à mort, dans Le condamné à mort,
L'enfant criminel, Le funambule, L'Arbalète, 1958, p. 18-19.
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14/08/2011
Jean Genet, Le condamné à mort
Le condamné à mort
[…]
Sur mon cou sans armure et sans haine, mon cou
Que ma main plus légère et grave qu’une veuve
Effleure sous mon col, sans que ton cœur s’émeuve,
Laisse tes dents poser ton sourire de loup.
O viens mon beau soleil, ô viens ma nuit d’Espagne,
Arrive dans mes yeux qui seront morts demain.
Arrive, ouvre ma porte, apporte-moi ta main.
Mène-moi loin d’ici battre notre campagne.
Le ciel peut s’éveiller, les étoiles fleurir,
Ni des fleurs soupirer, et des prés l’herbe noire
Accueillir la rosée où le matin va boire,
Le clocher peut sonner : moi seul je vais mourir.
O viens mon ciel de rose, ô ma corbeille blonde !
Visite dans sa nuit ton condamné à mort.
Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords,
Mais viens ! Pose ta joue contre ma tête ronde.
Nous n’avions pas fini de nous parler d’amour.
Nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes.
On peut se demander pourquoi les Cours condamnent
Un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour.
Amour viens sur ma bouche ! Amour ouvre tes portes !
Traverse les couloirs, descends, marche léger,
Vole dans l’escalier plus souple qu’un berger,
Plus soutenu par l’air qu’un vol de feuilles mortes.
O traverse les murs , s’il le faut marche au bord
Des toits, des océans ; couvre-toi de lumière,
Use de la menace, use de la prière,
Mais viens, ô ma frégate, une heure avant ma mort.
[…]
Jean Genet, Le condamné à mort [1945]suivi de poèmes, L’enfant criminel [1948], Le funambule [1955], Marc Barbezat – L’Arbalète, 1966, p. 18-19.
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